Le cinéma turc
Il se dit que les premières projections des Frères Lumières se firent à la cour ottomane! Et en effet, c'est en 1897 que le "Cinématographe" Lumière est montré au public à Istanbul, alors capital de l'empire ottoman.
C'est pourtant le documentaire LA CHUTE DU MONUMENT RUSSE de SAN STEFANO réalisé en 1914 par Fuat Uskinay- qui est considéré comme le premier film turc.
L'occupation de la Turquie par les puissances victorieuses de la première Guerre mondiale reporte cependant le démarrage du cinéma national à 1923. Le réalisateur Muhsin Ertugrul, pionner dans son domaine, va alors régner sur l'écran pendant plus de vingt années avec des films comme "AYSEL, FILLE DU MARECAGE" (1935) ou bien encore "VICTIME DE LA VOLUPTE" (1940). En 1931, il réalise le premier film turc "parlant "DANS LES RUES D'ISTANBUL" et son dernier film, "LA TISSERANDE" (1953), sera le premier film de nationalité turque en couleur!
Des années 1950 à 1975, c'est l'âge d'or du cinéma turc, marqué à la fois par un cinéma d'auteur plutôt porté sur le mélodrame et des films à petit budget qui font la part belle à la figure du "brigand d'honneur". En effet, bien que faisant partie de ces pays -dits à l'époque "non industrialisés"- la Turquie bénéficie de manière inattendue d'une production cinématographique importante! Que l'on juge, entre 1960 et 1970, la Turquie se classe cinquième en nombre de films produits, soit environ 300 oeuvres par année.
Pour autant, les âges de la production cinématographique turque varient en fonction des événements politico-économiques. Devenu un enjeu dès son introduction à la fin de l’Empire ottoman par quelques sujets non musulmans, le cinéma reste longtemps un moyen de propagande. Sous le règne de Mustafa Kemal, le cinéma est utilisé comme un moyen d’unification nationale.
Le réalisateurs phare de cette période est alors METIN ERKSAN considéré comme le chef de file. Il conjugue dans ses films l’engagement social avec la réflexion métaphysique, contribuant de la sorte à la création d’un authentique réalisme social dans le cinéma avec des films comme UN ETE SANS EAU qui obtiendra l’Ours d’or au festival de Berlin en 1960 -première récompense majeure pour la Turquie- ou LA VENGEANCE DES SERPENTS (1962), tous deux décrivant la vie du monde rural anatolien."
A la fin des années 1950, l'exode rural vécu par la population turque et la migration entrainé par cet état de fait deviennent une des thématiques privilégiées des cinéastes, comme l'illustre Duygu Sagirolu avec LA ROUTE SANS FIN (1965). Le film met en scène six jeunes chômeurs anatoliens partis à Istanbul pour tenter de survivre et qui ne trouveront sur leur chemin qu'humiliations et délinquance. Les films de l’exode rural évoquent généralement le déchirement et la désillusion des paysans attirés par les grandes villes et montrent comment la ville exerce un attrait irrésistible.
Dans les années 1970, suite à la baisse de la fréquentation des salles de cinéma, et à l'apparition de la télévision publique, une vague de films érotiques envahit la Turquie, à laquelle l'arrivée au pouvoir de l'armée turque en 1980 met rapidement fin .
Figure incontournable du cinéma turc, Yilmaz Güney, militant politique kurde, acteur, scénariste et cinéaste à la personnalité complexe, domine longtemps l'écran, au risque d'occulter d'autres talents. C'est lui qui -malgré son emprisonnement- écrit le scénario et cosigne l'admirable "LA PERMISSION" (Yol, 1982), Palme d'Or ex-aequo à Cannes en 1982 réalisé par Serif Gören!
La décennie 1990-2000 est une période financièrement difficile pour le cinéma turc qui ne se laisse pourtant pas abattre, et connait même un renouveau avec des réalisateurs comme Erden Kiral dont "Une Saison à Hakkari" (1983 )-Ours d’Argent à Berlin - relate la découverte par un instituteur citadin de la vie rude d’un hameau montagnard kurde oublié de tous. Sans oublier Tevfik Baser, qui vivant en Allemagne, est l'auteur de films puissants sur l’émigration turque comme 40 m2 d’Allemagne" (1986),"Adieu au faux paradis" (1989), ou "Au Revoir étrangère" (1991 ) qui permet à Baser d'explorer la communication difficile entre deux amants, un Turc et une Allemande.
La renommée internationale du cinéma turque atteint son apogée dans les années post 2000. Sans doute la sélection de MALGRE TOUT (1987) de Ohran Oguz à la Quinzaine des Réalisateurs en 1988 laisse-t-elle entrevoir celle de Nuri Bilge Ceylan. En 2003 son UZAK ,en compétition officielle, obtient le GRAND PRIX au Festival de Cannes. Sachant que son court métrage KOZA concourrait déjà pour la Palme d'Or en 1995. Tandis que FATIH AKIN obtient en 2007 le Prix du Scénario pour DE L'AUTRE COTE.
La Palme d'Or décernée à Nuri Bilge Ceylan s'inscrit dans une montée en puissance de la cinématographie turque, qui prend ses racines dans une vitalité créatrice toujours renouvelée. Ce réalisateur au style si unique - qui épure tant son scénario que sa mise en scène dans chacune de ses oeuvres- excelle à restituer les multiples facettes de son pays, jusqu'à faire sienne les histoires qu'il met en scène. Et l'on pourra dorénavant parler d'esthétique Bilge Ceylanienne pour cet artiste que d'aucun n'hésite pas à qualifier de Bergman du Bosphore!
Catherine Habib Journaliste cinéma