Déjà en 1927 Ben Hecht déclarait à Josef Von Sterberg  "qu'il fallait oublier les héros et les héroïnes et écrire un scénario peuplé seulement de bandits et et de prostituées" car "les braves gens aiment les malfaiteurs"!

Qu'est-ce qui caractérise le film de gangster? D'abord une tension déterminante, où les héros sont des personnages charismatiques et séduisants, auxquels les spectateurs peuvent s'identifier facilement. Mais ces personnages finissent toujours par se révéler comme des êtres misérables et de vicieux assasassins qui sèment la destruction physique et affective autour d'eux. Ils exercent cependant une fascination particulière à laquelle il est difficile de se soustraire. Personnage shakespearien, le gangster est un héros aux défauts mortels : "le gangster est un homme de la ville, qui possède le langage et le savoir de la ville, avec ses talents étranges et malhonnêtes et sa terrible audace, portant sa vie à bout de bras comme une pancarte ou un club" nous raconte le critique américain Robert Warshow dans son essai "THE GANGSTER AS TRAGIC HERO" (1948)

Le film de gangster fleurit cette époque où la censure n'est pas encore de vigueur aux  Etats-Unis. Les grands studios produisent des comédies musicales en veux- tu en voilà, et des gangsters armés de mitraillettes rôdent à tous les coins de rue. Il est nécessaire de préciser que ce genre bénéficie alors d'un allié inattendu, la prohibition! En effet, la vente illégale d'alcool favorise le développement de bandes criminelles qui procurent aux américains un accès illicite aux boissons alcoolisées. Et à peine a-t-on le temps de dire ouf qu'hollywood s'empare de ces barons de la pègre et des  bars clandestins pour nourrir la veine de son inspiration cinématographique! 

Warner Bros le premier se vante de faire "des films arrachés à la une des journaux", avec Le PETIT CESAR (1931) de Mervyn Leroy, interprété par Edward G.Robinson, puis L'ENNEMI PUBLIC (1931) de William Wellman avec James Cagney! United Artists produira ensuite SCARFACE de Howard Hawks en 1932.

Sans doute le film de gangster pour devenir populaire avait-il besoin du son! Ce n'est pas un hasard si Le PETIT CESAR, inspiré du roman éponyme, est rythmé par le bruit de la rue et le tac-a-tac des tommys guns tirant depuis une voiture en marche.  Contrairement aux autres films sur la pègre, le héros "n'a rien de bon, il est capable du pire" estime le scénariste Darryl F.Zanuck en parlant du tueur Cesar Enrico "Rico" Bandello. L'ENNEMI PUBLIC inspiré du roman BEER AND BLOOD repose en grande partie sur des faits réels. Et même si à l'époque on entend dire par un critique du New York Times que "ce n'est qu'un film de gangster comme de plus, avec une trame encore plus insignifiante que les autres", ce film est d'une importance capitale pour la mise en place du genre, et il lance définitivement la carrière de James Cagney! Quant à SCARFACE, explique le réalisateur Howard Hawks, "je voudrais présenter la famille d'AL CAPONE comme si ils étaient les BORGIA installés à chicago". Et de fait SCARFACE connut de gros soucis avec la censure. Le film put pourtant voir le jour dans sa version originale, tant la frontière à cette époque entre les vrais truands et leurs équivalents au cinéma étaient floues. Ainsi John Dillinger, l'un des caïds notoires, fut abattu en 1934 à la sortie d'un cinéma d'un chicago, alors qu'il venait d'assister à la projection de L'ENNEMI N°1!

Si les films de gangsters créént un nouveau genre de protagoniste hollywoodien - le dur héros des villes, issu du monde ouvrier et souvent d'un milieu immigré- ils soulignent déjà l'obsession des américains pour la violence. 

L'influence des films de gangsters américains s'est fait ressentir en Europe avec PEPE LE MOKO où Jean Gabin y interprète un infame truand parisien embusqué dans la casbah d'Alger.  Cependant cette oeuvre est davantage le précurseur du film noir qu'un véritable film de gangster. A Hollywood ce dernier ne cédera sa place au film noir qu'en 1940. Petit à petit SCARFACE et LE PETIT CESAR cèdent la place à des films où les détectives, et non plus les truands, sont les héros! Aussi Martin Scorsese considère-t-il que le genre du film de gangster a changé quand "les truands sont devenus des hommes d'affaires"!

Catherine Habib Journaliste cinéma