Interviews cultes à découvir!

Qui ne connait pas la chanteuse Yelle? Mais avouez que Yelle en pute pour son premier rôle au cinéma c'est moins commun...dans Une Pute et un Poussin, elle nous montre qu'elle a du talent à revendre! 

Place à Julie Vard'Art!

La lumière, le cadre et le mouvement

   Parce que l'on s'intéresse souvent à l'histoire et ses interprètes, zoom éclairé sur la mise en scène!

Contrairement aux idées reçues, la fonction du chef opérateur est beaucoup plus récente que le cinéma lui-même. A l'origine la responsabilité de l'image incombait seulement au réalisateur qui faisait office de cadreur. Avec l'épanouissement de l'école allemande - l'expressionnisme et le Kammerspiel -, les réalisateurs commencent à se préoccuper véritablement de l'éclairage, qui apparait comme un artifice de choix peu couteux en ces temps de récession économique.

Le premier souci des cinéastes pionniers concernait le traitement du cadre: les vieux films muets indiquent bien à quel point les aînés avaient assimilés les règles de la composition classique, souvent apprises dans les musées ou les écoles de peinture. Il s'agissait d'abord des règles élémentaires, fondées sur l'équilibre des masses et l'horreur vacui, "cette horreur du vide" qui détermine un enfant, par exemple, à dessiner sur toute la surface d'une feuille blanche.

Conçus dans la tradition picturale, les premiers films définissaient l'image comme un cadre. Mais le cinéma bien sûr est aussi mouvement: il pose, vingt quatre fois par seconde, un cadre différent. Les lois de la composition se trouvent donc à chaque instant remises en cause par d'incessants mouvements : mouvements d'appareil, mouvement de personnages, mouvement d'arrière-plan...car même dans l'oeuvre de cinéastes réputés "statistiques" (comme Robert Bresson ou Manuel de Oliviera), quelque chose, toujours bouge: il suffit d'un frissonnement du vent, d'une porte qui s'entrouve, d'un petit geste de la main, pour que imperceptiblement, la composition du cadre change de nature.

Aussi le chef-opérateur doit-il parfois suggérer aux comédiens des modifications de posture, en prenant garde de ne pas troubler la spontanéité  du jeu. Dans les films de Bergman, cet art de la composition tient à des éléments très simples, très subtils: un gros plan sur fond neutre, un visage légèrement décentré, une position des doigts ou du poignet...Avec Truffaut dont la caméra tend à se déplacer souvent, le cadreur est confronté aux problèmes des compositions multiples: réussir, en un seul plan, quinze ou vingt compositions différentes, et de qualité égale.

Outre le goût des uns et des autres, les choix de cadre reflètent aussi une tradition culturelle: les japonais ont amené la composition dissymétrique au plus haut point de raffinement, alors que la peinture européenne de Vélasquez à Mondrian, repose sur une notion d'équilibre.

Quant à la valeur d'usage cinématographique de telle ou telle oeuvre picturale, elle dépend beaucoup du cadre qui la délimite: à cet égard, les enluminures du Moyen-Age ou les fresques de la Chappelle Sixtine présenteront moins d'intérêt que les toiles de "l'ère du chevalet" ( non pas tellement les portraits classiques, qui s'inscrivent verticalement dans l'espace, mais surtout les scènes de genre, dont la composition originale présume déjà du format cinématographique.)

En effet, c'est en cherchant à se situer par rapport aux traditions picturales que le cinéma a défini son cadre et son format.

Le problème était ardu, en effet: il fallait à la fois concilier une organisation verticale pour les gros plans, et une organisation horizontale pour les plans d'ensemble. On a donc établi un format - le 1,33 format natif du cinéma muet ou 4/3- qui tenait une sorte de juste milieu entre le carré et le rectangle,et qui tolérait les gros plans comme les plans éloignés, sans être véritablement adaptés à aucun des deux.

A la même époque, Einstein avait ingénieusement proposé un dispositif de caches sur l'objectif qui aurait permis "un cadre à géométrie variable": on aurait ainsi obtenu selon les besoins une image plus ou moins carrée, plus ou moins rectangulaire, voire ronde ou ovale. Mais sous l'influence de la peinture moderne qui ouvre une brèche dans la conception de l'équilibre classique le cinéma adopte un format de plus en plus long, de plus en plus panoramique encourageant les compositions assymétriques, puisque l'image d'un gros plan par exemple indique beaucoup d'espaces perdus.

On trouve d'ailleurs trace de ces compositions excentriques au sens littéral du mot dans des films aussi différents que MADE IN USA de Jean-Luc Godard et REDS de Warren Beatty. Mais en établissant une relation entre le caractère spectaculaire d'une image et l'allongement panoramique de son cadre, le cinéma n'a fait que redécouvrir une vieille loi de la peinture: il suffit de revoir LA BATAILLE DE DE SAN ROMANO de Paolo Uccello pour s'en convaincre. Les spectateurs furent surpris de découvrir des visages en gros plans inscrits de la sorte dans un espace horizontal.

Et bien que les manuels techniques et les histoires de cinéma tendent à séparer, dans l'analyse de l'image cinématographique, le cadre le mouvement et la lumière, ces fonctions sont étroitement liées: une composition ne détermine pas seulement des lignes, mais aussi des valeurs, des densités. La symétrie ou dissymétrie lumineuse joue directement sur l'équilibre des formes. Par ailleurs, cette interaction du cadre et de la lumière se pose de façon aigue sous l'angle du montage, de la fluidité des raccords. Certains cinéastes, Godard par exemple, ont utilisé l'effet de rupture comme principe de mise en scène: il s'agit alors de provoquer, à l'intérieur d'une même séance, une impression de discontinuité du mouvement ou de la lumière.

Le  réalisme photographique est très important, car pour que le spectateur croie à la véracité des situations et de sentiments joués, il est nécessaire que la représentation de la réalité les y encourage aussi. A moins que bien sûr que la volonté de distanciation -brechtienne ou autre- ne soit délibérée. Toute une génération de techniciens s'est d'ailleurs s'est d'ailleurs rebellée contre les abus de l'artificialité: l'américain Gordon Willis (l'opérateur du Parrain, d'Interiors, de Network), le hongrois Vilmos Zsigmond (Voyage au bout de l'enfer), l'italien Luciano Tovoli (Profession: reporter), l'anglais John Alcott (Barry Lindon) avons tous débuté avec le souci d'imposer une lumière plus naturelle.

Car à l'époque du noir et blanc, des couleurs différentes se traduisaient sur la pellicule par d'infimes nuances dans les tons gris. Les chefs opérateurs, afin de différencier les valeurs, étaient donc obligés de recourir à une technique d'éclairage très sophistiquée, usant de lumières ponctuelles, découpées, "dentelées". Il fallait pallier la pauvreté d'information du noir et blanc par un véritable arsenal d'éclairages différentiels. Mais à l'arrivée de la couleur, cette manière de procédé a été remise en cause, puisque la lumière naturelle suffit à séparer les valeurs: un personnage vêtu de marron, et qui se trouve devant un mur vert, se détache immédiatement.

Pourtant par habitude, les opérateurs de cette époque ont continué à travailler la couleur avec la même technique. Par chance, le progrès technique - les pellicules plus sensibles, les objectifs plus lumineux- ont permis de reconstituer même en studio les conditions approximatives de la lumière naturelle.

Déjà les photographes de mode avaient inauguré les éclairages indirects, réfléchis sur des parapluies argentés, pour imiter la douceur diffuse de la lumière du jour. Forts de cet enseignement, les chefs opérateurs ont mis au point leurs propres réflecteurs; certains utilisaient des parapluies, d'autres comme Raoul Coutard la surface du plafond, d'autres encore des plaques de polystyrène blanc sur lesquelles la lumière rebondissait comme si elle provenait d'une fenêtre ou d'un abat-jour. Plus tard, les fabricants ont lancé des soft lights, c'est à dire des des ampoules électriques dont la lumière est renvoyée, adoucie , sur la paroi inférieure d'une boîte.

Ainsi les anées soixante renouaient-elles avec le respect de l'éclairage naturel, en justifiant de manière logique les sources lumineuses (de même que LA TOUR ou VERMEER désignaient sur leurs toiles, les bougies ou les fenêtres qui illuminaient une scène; de même aussi, que sans le faire figurer, un Rembrandt suggérait précisément l'origine de la lumière). Certains opérateurs de la période précédente avaient anticipé ce mouvement: James Wong Howe (Les bourreaux meurent aussi de Fritz Lang, La vallée de la peur de Raoul Walsch) et surtout G.R Aldo (La Terre tremble de Visconti, Umberto D de Sica) se sont souvent efforcés de respecter le réalisme de la lumière mais les moyens techniques de l'époque ne leur permettaient pas d'y réussir toujours.

Les excès et les incohérences de jadis prêtent respectivement à sourire. En effet, la simplification du matériel et les progrès techniques sont tels que la stricte compétence d'un chef opérateur est de moins en moins déterminante, par rapport aux facteurs humains : ses affinités culturelles et psychologiques avec un metteur en scène, ses qualités artistiques, sa compréhension du projet cinématographique.

Aujourd'hui les futurs directeurs de la photo auront avantage à s'intéresser à l'histoire des idées, de la peinture et du cinéma, plutôt qu'aux méandres faussement mystérieux des courbes sensitométriques de luminosité. On peut même se demander si la fonction et le prestige du chef opérateur ne survivent pas uniquement grâce à la crainte irraisonnée que les cinéastes éprouvent toujours à l'égard de ce qu'on appelle, à tort, la technique!

Catherine Habib Journaliste cinéma